Archive pour la catégorie ‘Les chiens de faïence’

One more pill to kill the pain…

Jeudi 1 septembre 2011

afpa.

« Le travail, qui était une expérience socialisatrice et collective en résonance avec les enjeux politiques, économiques, sociaux ou culturels de la société, se transforme en une épreuve solitaire. Chacun est dans un corps à corps angoissant avec son propre travail, et la volonté d’en retirer une reconnaissance, un prestige. Quand ça ne marche pas, les salariés s’effondrent. [...] Le salarié est un ennemi à fragiliser, à affaiblir et à isoler. Il faut le mettre en difficulté pour obtenir de lui un travail à la hauteur de ce qu’attend l’entreprise. C’est une idée fortement ancrée dans l’esprit managérial, qui est relayée par les écoles de commerce et de gestion. C’est en quelque sorte l’idéologie de la lutte des classes, mais du point de vue du management. [...] Il [Le patronat] pense que si on laisse un peu d’autonomie et de liberté aux salariés, ces derniers voudront travailler selon leur point de vue, selon leurs propres valeurs, en essayant de s’économiser. Il faut donc les obliger à être productifs par tous les moyens » (source et suite : Bastamag, entretien avec Danièle Linhart, 31 août 2011)

Perros de porcelana (Espagne)

Mardi 23 août 2011

A paraître le 13 septembre 2011 chez Alienta Editorial (Planeta). Traduction : Ramon Vilardell.

perros de porcelana

Vincent Fournier, un ejecutivo exprimido por sus jefes y relegado con el paso del tiempo a un cargo puramente administrativo, aparece en su despacho de la compañía telefónica para la que trabaja con una bala en la cabeza y un sedante en el estómago. No es el primer cadáver: varios de sus compañeros de trabajo se han suicidado previamente tirándose por la ventana. Nadie mejor que Carole Matthieu, médico de la empresa, conoce los motivos que llevaron a Vincent Fournier a la muerte. Su trabajo consiste en ayudar a cientos de trabajadores agotados y advertir a sus jefes de los peligros del estrés y de la sistemática precariedad laboral en la que viven los empleados de la empresa. Pero el trabajo de Carole también pasa por escuchar los dramas personales de los trabajadores, intentando curar sus almas heridas con los medios adecuados…si se puede llamar un instrumento de trabajo a una pistola Beretta 92.

La machine

Jeudi 26 mai 2011

tripalium

« Aujourd’hui, avec la machine, tout cela est terminé (tu vois que la technique est comme les amours, la technique moralise, la technique planifie, la technique na pas de “nature”) [..] Tu as bien travaillé (moi aussi !) sur ton amour, sur toi, sur moi. Maintenant tu as bien gagné le droit de repos. Ferme les yeux, ma chérie, laisse le temps et la vie faire leur oeuvre, laisse la machine en paix, laisse en paix tes mains bien-aimées. »

Louis Althusser, Lettres à Franca, mercredi 17 et jeudi 28 septembre 1961. (Source image : Yann Minh).

Les visages écrasés…

Lundi 21 mars 2011

« Les Visages écrasés est un roman noir sur le monde du travail. Les visages écrasés, c’est le mode d’emploi froid, nu d’une machine ou d’une tâche, la progression rationnelle quasi clinique des évènements, les règles de métier, mais c’est aussi l’instrument du contrôle social qui prévaut aujourd’hui dans l’organisation du travail et les techniques de néo-management, c’est-à-dire les « bonnes règles » et les « bonnes pratiques » (leitmotiv lancinant des directives managériales). La marche à suivre, c’est le bon sens et le bon salarié versus son corrélat, la pratique du mouton qui suit le troupeau du haut de la falaise. C’est la règle de bon fonctionnement et la loi aveugle. C’est le vivre ensemble versus le « marche ou crève ». [...] Les Visages écrasés est au mode de production néo-managérial ce que La guerre des vanités ou Zone Est sont à l’illusion de la consommation et du tout technologique : des histoires d’hommes et de femmes qui se débattent avec dignité dans l’Histoire du monde industriel des trente ou cinquante dernières années. » Christophe Dupuis vous en parle déjà ici, et Tarik Messelmi, pour Actu SF, me pose quelques questions à ce sujet, , dont est extrait le passage ci-dessus.

Les visages écrasés

Un volet claque. Mes affaires, déposées en vrac dans le hall d’entrée.
A l’exception du Beretta.
Fascinée, je contemple une nouvelle fois le semi-automatique. L’idée me traverse l’esprit de le retourner contre moi mais, encore une fois, Vincent n’est pas le problème.
Il le sait, je le sais.
Le problème, ce sont ces fichues règles de travail qui changent toutes les semaines. Ces projets montés en quelques jours, annoncés priorité-numéro-un, et abandonnés trois semaines plus tard sans que personne ne sache vraiment pourquoi, sur un simple coup de fil de la direction. La valse silencieuse des responsables d’équipes, toujours plus jeunes et plus inflexibles, mutés dans une autre agence ou partis par la petite porte. Cette tension permanente suscitée par l’affichage des résultats de chaque salarié, les coups d’œil en biais, les suspicions, le doute permanent qui ronge les rapports entre collègues, les heures supplémentaires effectuées pour ne pas déstabiliser l’équipe, le planning qui s’inverse au gré des mobilités, des résultats financiers et des ordres hebdomadaires. Les tâches soudaines à effectuer dans l’heure, chaque jour plus nombreuses et plus complexes. Plus éloignées de ses propres compétences. Les consignes qui évoluent sans arrêt. Les anglicismes et les termes consensuels supposés stimuler l’équipe et masquant des réalités si sourdes et aveugles que le moindre bonjour est à l’origine d’un sentiment de paranoïa aigue. L’infantilisation, les sucettes comme récompense, les avertissements comme punition. La paie, amputée des arrêts maladie, et des primes au mérite qui ne tombent plus. Les objectifs inatteignables. Les larmes qui montent aux yeux à tout moment, forçant à tourner la tête pour se cacher, comme un enfant qui aurait honte d’avoir peur. Les larmes qui coulent pendant des heures, une fois seul. Mêlées à une colère froide qui rend insensible à tout le reste. Les injonctions paradoxales, la folie des chiffres, les caméras de surveillance, la double écoute, le flicage, la confiance perdue. La peur et l’absence de mots pour la dire.
Le problème, c’est l’organisation du travail et ses extensions.
Personne ne le sait mieux que moi.
Vincent Fournier, 13 mars 2009, mort par balle après ingestion de sécobarbital, m’a tout raconté.
C’est mon métier, je suis médecin du travail.
Ecouter, ausculter, vacciner, notifier, faire remonter des statistiques anonymes auprès de la direction. Mais aussi : soulager, rassurer.
Et soigner.
Avec le traitement adéquat.

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« Une véritable course contre la montre s’engage entre elle, la police qui cherche très “prosaïquement” un coupable, les syndicats qui tergiversent sur l’attitude à adopter et une direction qui tente de garder la face pour ne pas perdre des parts de marché. Malgré ces obstacles mais aussi les doutes et la culpabilité qui la rongent, cet ange mi-exterminateur, mi-rédempteur est bien décidé à raconter, à travers notes, courriers et dossiers médicaux, “l’autre histoire”. Celle d’hommes [...] et de femmes broyées par la mécanique du rendement et du profit. Une mécanique perverse, remarquablement dépeinte par Marin Ledun dans toute sa froideur clinique, sa folie destructrice. » (Le Monde des Livres, 5 mai 2011, par Christine Rousseau.)

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Editions du Seuil, collection Roman Noir, 24 mars 2011.